Récit de tournage

Au départ, notre réalité du moment, c’était la vie sur le bateau. Se côtoyer, être en contact, être bousculé par la houle, les vagues. On apprenait à manoeuvrer. A huit sur un voilier de 12m87, les parcours sont calculés. Et la bannette un refuge providentiel.
Nous, l’équipe de tournage Primitivi, filmions dans ce cahot, les déplacements aventureux dans le cockpit. Pendant ce temps de la traversée, pas de mot ou peu sur ce que nous allions vivre en Tunisie. La navigation avait logiquement pris le pas. Il fallait être présent, là, tout de suite, pour assurer une vie sur le bateau confortable à tout le monde.

Puis, l’arrivée à Zarzis. Sur le quai, Chamseddine Marzoug, pêcheur, militant pour les droits humains nous attend et nous aide à mettre les amarres. En 2017, avec les marins pêcheurs de Zarzis, ils avaient empêché l’accostage du C-Star, un navire affrété par des militants d’extrême droite qui disait vouloir empêcher les sauvetages des personnes en détresse en mer.

A l’initiative d’Alarm-Phone, les premiers rendez-vous se mettent en place. Des habitant.es et des associations de défense des droits humains et pour la liberté de circulation sont invité.es pour les rencontres. D’abord une projection de film. Tout le monde se retrouvent à la Maison de la culture. Ici, des séances de cinéma sont régulièrement organisées. Nous rencontrons alors les pêcheurs de Zarzis qui nous décrivent leur quotidien et les sauvetages en mer qu’ils réalisent. Les discussions sont nombreuses et intenses. On ressent une profonde attention, chacun.e écoute. Le récit de notre venue par la mer nous a rapproché des personnes que nous avons rencontrées.

Manifestation dans le port de Zarzis, Tunise, Avril 2018

Être arrivé.es en voilier intriguait voir amusait, on racontait alors ce que la traversée avait pu créer en nous. Les corps s’habituent vite à retrouver la terre et si la tête est rudement mise à l’épreuve en mer, les rencontres et discussions en Tunisie vont déclencher des séries tâtonnantes de questions/réponses qui n’ont pas fini de nous traverser. Très vite, on va nous parler de la Harraga (qui signifie la traversée – le suicide en mer). Là-bas, «partir» se dit Harraga, qui veut littéralement dire «mettre le feu», «se mettre le feu». Tu pars car tu es déjà mort et partir c’est mourir encore une fois.

De Zarzis à Tunis, nous déambulons d’une rencontre à l’autre avec Ozaeir et Jamel. Comédien et metteur en scène, ils militent à travers le théâtre forum pour la liberté de circulation. Pendant une dizaine de jours, nous serons avec eux, chez eux, immerger dans un nouveau quotidien. On film les rues, en hauteur, sur différents toits de Tunis, sur la terrasse d’Ozaeir, ses amis dans son appartement. Ils nous racontent leur actions dans la rue avec le théâtre.

«Tu sens que tu peux circuler où tu veux, c’est un sentiment, juste un sentiment » nous dit Ozaeir. Dans ce tournage quasiment en continu, nous avons parlé de dignité, de droit de circuler librement. Ce film est pour nous une première tentative de soutenir les solidarités en Méditerranée.

« Tout les jours, il y a des jeunes qui sont en train de mourir dans la Méditerranée et le problème dans la société, c’est que l’on s’habitue à ça : le premier jour on est choqué, le deuxième jour un peu moins, et le troisième jour on s’en fout ! Le problème c’est que les gens entendent mais n’écoutent pas ». Azza, Tunis, Avril 2018.

Hussein, manifestation dans le port de Zarzis, Tunisie, Avril 2018

« Plus vous fermez les frontières, plus vous nous tuez, plus vous nous condamnez, ouvrez les frontières », Hussein, Zarzis, Avril 2018.